Pistes de réflexion
Voici quelques pistes de réflexion que j'ai entamées à certains endroits dans ce portfolio. Elles proviennent souvent d'enregistrement vocal que j'ai effectué à la suite d'un déclic dans ma tête, suite à des discussion, suite à des conseils d'autres étudiants... Cette section est donc expressément désorganisée, ce n'est qu'une suite non logique de plusieurs réflexions. Elle me semble néanmoins importante et utile, puisque ce sont tant d'éléments qui ont orienté ma manière de concevoir le cours que je vous ai présenté, ma manière de tourner mes phrases, ma pensée.
Lorsque le décret concernant la nouvelle formation initiale des enseignants a été publié, je dois avouer que ma première réaction n'était pas très enthousiaste. L'idée d'allonger la durée des études m'a semblé un peu décourageante pour ceux qui envisagent de devenir enseignants, surtout dans un contexte où ce métier peine déjà à attirer de nouveaux étudiants et fait face à une pénurie assez majeure. Passer d'un bachelier en trois ans à un cursus de quatre ans avec un master à la clé me paraissait, sur le moment, un peu excessif. De plus, le remplacement du TFE par un mémoire, qui me semble plus encadré, m'a d'abord paru être une contrainte supplémentaire (plus de règles, plus d'exigences, sans que je puisse vraiment voir si cela aiderait les étudiants à mieux se préparer à leur futur métier). Je me demandais aussi si ces changements allaient vraiment rendre le métier plus attrayant ou, au contraire, décourager ceux qui hésitent déjà.
Cependant, avec un peu de recul, mes réflexions ont évolué. En lisant le décret, en discutant avec mes camarades et mes enseignants cette année, j'ai réalisé que cette réforme visait à revaloriser le métier d'enseignant, en ancrant les formations dans un cadre plus universitaire, plus complet et plus exigeant, mais aussi plus en phase avec les responsabilités actuelles des enseignants, en tout cas c'est de cette manière là que je m'en saisi. L'intégration d'un volet de recherche dans la formation, à travers le mémoire notamment, m'est apparue finalement comme un atout, cela permet de former des enseignants qui ne sont pas seulement des praticiens, mais des praticiens réflexifs, capables de s'appuyer sur la recherche pour adapter leurs méthodes et se remettre en question. Le décret met d'ailleurs l'accent sur cette posture réflexive et sur des compétences essentielles comme l'analyse, la compréhension des contextes sociaux et la collaboration en équipe éducative.
Cela dit, je pense qu'il reste encore des points à améliorer. Par exemple, la lourde charge de stage en fin de parcours est formatrice, mais elle peut poser des problèmes d'organisation et de stress. Même si l'ambition du décret me semble finalement justifié en quelque sorte, sa réussite dépendra beaucoup de l'accompagnement qui sera mis en place dans les institutions (Haute-Ecole et université), des stages bien encadrés, des cours cohérents et un soutien concret aux étudiants seront essentiels pour éviter que cette réforme ne se transforme en un simple empilement de crédits. L'objectif n'est pas simplement d'augmenter le temps d'étude et de rajouter des cours pour combler les 60 crédits supplémentaires. L'idée me semble bien plus réfléchis que ça, et il faut donc une communication et une cohésion optimale de tous les partenaires.
Je considère donc aujourd'hui ce décret comme une belle opportunité, car il vise à professionnaliser davantage les enseignants grâce à des stages plus long et des moyens pour obtenir une remise en question de leur pratique de manière régulière, à renforcer leur autonomie intellectuelle et à valoriser leur rôle dans la société (en passant d'un bachelier à un master, je pense que ça peut revaloriser le métier). Mais pour qu'il soit vraiment efficace, il est crucial qu'il reste accessible, humain et adapté à la réalité du terrain. Cette réforme ne sera bénéfique que si elle permet aux étudiants de devenir de meilleurs enseignants, sans les épuiser ou les décourager avant même qu'ils aient commencé leur parcours.
La lecture comparative de la formation initiale des enseignants au Québec et en Finlande, présentée par Morales Perlaza et Tardif (2015), met en avant des pites de réflexion intéressante. C'est un article que nous avons analysé au cours de Madame Postiaux.
D’abord, la durée et le niveau de la formation diffèrent sensiblement. En Finlande, les études sont en 5 années, avec une forte intégration de la recherche (plus de 20% de la formation). Au Québec, bien que la formation soit professionnalisante et intégrée dans les universités, elle reste principalement au niveau d'un bachelier, mais en 4 ans. La formation à la recherche est de 2% à 3% selon les établissements. En Belgique, avec la réforme récente, la formation s’étend désormais sur 4 ans également, avec l’introduction d’un mémoire et d'une formation en partenariat entre Haute-Ecole et université. Je me rends compte que la place accordée à la recherche est un point clé. En Finlande, la recherche est au cœur de la formation : les enseignants sont formés à devenir des praticiens réflexifs, capables de mobiliser des outils scientifiques pour analyser et améliorer leur pratique. Au Québec, la recherche reste peu intégrée (selon le texte), sauf dans quelques universités. En Belgique, on retrouve cette tension : l’ambition d’intégrer la recherche est présente, mais sa mise en œuvre reste parfois plus fragile il me semble. Cela pose la question de la formation des formateurs, mais aussi de la valeur qu’on accorde réellement à la culture scientifique dans la formation professionnelle. Est-ce suffisant d'ajouter des cours à l'université pour faire de la recherche ? Je ne pense pas, ce serait limiter ce domaine à l'accumulation de simple notions et concepts théoriques. Le passage à un mémoire est une bonne voie à suivre je pense pour rentrer dans une fonction utilitariste de la recherche.
Le statut social de la profession et la sélection des candidats apparaissent comme des différences majeures également. En Finlande, la sélection est très rigoureuse et la profession a un statut très valorisé, ce qui attire les meilleurs profils. À l’inverse, au Québec comme en Belgique dans une moindre mesure, la profession souffre encore d’un certain manque de reconnaissance sociale. Au Québec, il y avait une sélection à l'entrée sur base d'un dossier, mais avec la pénurie qui touche le pays, ce n'est plus le cas dans toutes les universités. En Belgique, on espère que l’allongement de la formation et le renforcement des exigences joueront sur le renouveau du prestige de la profession, mais cela reste encore à confirmer. Je pense qu'il faut laisser le temps à la réforme de se déployer pour analyser les retombés, mais l'allongement des études pour arriver à un niveau master pourrait convaincre que la profession est plus "importante" aux yeux de la population.
Au final, je pense qu'une réforme ne peut faire que du bien si elles est bien pensée. Cependant, sans changement de vision de la profession dans la population, je doute que la formation attire autant de monde qu'espéré.
Cette année, j’ai décidé de me lancer dans un master de spécialisation en formation d’enseignants, qui est désormais le titre requis pour devenir psycho-pédagogue en Haute-Ecole. C’est un choix que j’ai fait à un moment clé de ma vie je pense. Au départ, j’avais vraiment envie de poursuivre un doctorat, mais je n'ai malheureusement pas eu la chance d'être pris. J’ai donc naturellement choisi ce master, qui me permet de rester dans une dynamique d’apprentissage tout en commençant ma carrière professionnelle, enseigner les mathématiques, à plein temps.
Au début, j’avais quelques appréhensions, surtout concernant la gestion de mon emploi du temps. Entre les cours, le stage, mes responsabilités d’enseignant, mes activités sportives et ma vie de famille, j’avais peur d’être débordé. Il y a eu des moments de fatigue et de remise en question, c’est vrai. Mais avec une bonne organisation, une certaine motivation et une passion pour ce que j’apprenais, tout s’est bien passé. Et le bilan est vraiment positif ! Ce master m’a apporté tant de choses. J’y ai trouvé ce que je cherchais je pense, des échanges enrichissants, des discussions passionnantes, et des nouveaux concepts qui m’ont aidé à mieux comprendre ma pratique et le système éducatif. Les cours m’ont confronté à des lectures nouvelles, des discussions sur des sujets plus macro en éducation, ce master m'a appris à décortiquer un décret (ce qui est assez compliqué d'ailleurs). Ce master n’est pas juste une accumulation de crédits pour avoir un diplôme en plus, c’est une expérience humaine et intellectuelle incroyable. J’en ressors mieux préparé, plus conscient de mes limites, et surtout, avec une envie renouvelée d’apprendre et d’accompagner d’autres enseignants dans leur parcours. De plus, ce master m'a réconforté dans l'idée que l'enseignement supérieur est fait pour moi.
Les cours et les séminaires sont intéressants à suivre, nous (les étudiants) étions souvent présent à tous les cours, ce qui est très motivant. J'ai l'impression que nous avons cependant un peu stagner à certains cours, ce qui pourrait être amélioré pour l'année prochaine. Un autre point à améliorer est le calendrier qui était parfois un peu trop chargé et le manque de clarté, ce qui complique la vie des étudiants qui travaillent déjà. Le suivi du stage, bien que très enrichissant, pourrait être mieux coordonné, avec une communication plus fluide entre tous les acteurs impliqués.
Si je me réfère aux 7 compétences que le décret met en avant pour ce master de spécialisation, je pense pouvoir dire que cette année d'étude m'a permis de développer surtout 6 compétences sur les 7, ce qui est très enrichissant. La compétence qui, je pense, est moins développée est la suivante : " la maîtrise de la didactique de la ou des disciplines concernées ou de la didactique appliquée à ces disciplines". En effet, mise à part durant mes stages et durant quelques cours avec Madame Postiaux, je reste un peu sur ma faim concernant cet aspect. Je pense que je le développerai avec mon expérience professionnelle à l'avenir.
Au final, je suis content de l'avoir fait à l'ULB. La combinaison choisi (pas de mémoire, mais de nombreuse heures de stage) m'a correspondu.
Cette année, j’ai eu l’occasion de réfléchir à un sujet qui me touche vraiment, c’est le coût des études. On en a parlé pendant un cours avec Madame Postiaux, et ça m’a assez marqué. La discussion était intéressante, et elle a fait écho à mon expérience, autant en tant qu’étudiant qu’en tant qu’enseignant. Comme je viens d’un milieu modeste, je suis très reconnaissant que notre système scolaire rende l’enseignement obligatoire accessible à tout le monde, surtout dans le primaire et le secondaire. C’est une vraie chance que j’ai eue, et ça m’a clairement permis d’avancer. C'est donc un sujet qui me touche depuis longtemps (ce qui fait également écho à mon lien avec le concept d'inégalité scolaire). Mais maintenant que j’ai les deux pieds dans la réalité en tant que professeur, je me rends compte que la fameuse “gratuité” de l’école, elle n’est pas si simple que ça. L’inscription ne coûte rien, c’est vrai, mais à côté de ça, il y a plein de frais à assumer. Les sorties scolaires, les fournitures, les livres, les repas de midi, parfois même les photocopies... Ça peut vite devenir compliqué pour certaines familles. Et là, on se rend compte que l’école, qui est censée être un lieu d’égalité, peut malgré elle creuser des écarts aussi (Draelants, Dupriez et Maroy, 2011). Alors forcément, je me demande si on ne devrait pas revoir un peu notre manière de penser cette soi-disant gratuité. Peut-être qu’il faudrait mieux accompagner les familles, de manière concrète, pas juste sur papier.
Pour l’enseignement supérieur, c’est un peu une autre histoire. Le minerval reste abordable, et heureusement. Je pense à certain pays où les étudiants doivent souvent faire des prêts pour effectuer leurs études. Mais pour pas mal d’étudiants, surtout ceux qui n’ont pas beaucoup de moyens, c’est quand même dur de suivre des études sans travailler à côté. Le job étudiant devient souvent indispensable, pas pour les petits extras, mais juste pour payer un loyer, manger, acheter un ordinateurs ou pour faire quelques sorties. Lorsqu'on doit jongler entre le boulot, les cours, les examens et la vie privée, ça devient vite lourd. Cette année, avec ma formation en plus de mon job à temps plein, j’ai vraiment pris conscience de tout ça. Le manque de temps, la fatigue, le stress, tout ça peut mettre des bâtons dans les roues, même quand on est super motivé. J'ai toujours eu des jobs étudiants, depuis mes 15 ans. Seulement, pendant les périodes scolaires, je travaillais de manière modérée, les jobs étudiants n'ont jamais été un frein à es études.
C’est aussi pour cette raison que, dans le cours d’initiation à la recherche que j’ai choisi de mettre en avant dans ce portfolio, j’ai voulu proposer des outils qui sont entièrement gratuits. C’est un vrai choix de ma part. Je trouve que tout le monde devrait pouvoir apprendre, faire des recherches, se former, peu importe sa situation financière. Aujourd’hui, il existe plein d’outils gratuits, faciles à utiliser, souvent collaboratifs, parfois même open source, qui permettent aux étudiants d’avancer sans se ruiner. En les utilisant et en les partageant, j’essaie à mon échelle de rendre l’enseignement un peu plus équitable. Parce que pour moi, un bon enseignant, ce n’est pas seulement celui qui explique bien, c’est aussi celui qui aide chacun à avoir les mêmes chances.
Quand on parle de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’enseignement supérieur, je me rends compte que mon avis est forcément influencé par ma propre posture, par mon utilisation personnelle. Je me considère comme un utilisateur relativement bien informé et globalement favorable à l’IA. C’est un outil que j’ai pris le temps de découvrir, que j’ai appris à maîtriser, et que j’utilise aujourd’hui dans ma vie quotidienne bien au-delà du cadre éducatif. Que ce soit pour gérer mes mails, organiser mes journées, optimiser mes to-do lists ou synthétiser des informations, l’IA est devenue pour moi un assistant numérique. Elle me fait gagner du temps, me permet de rester concentré sur l’essentiel, et m’offre parfois des perspectives que je n’aurais pas envisagées seul. Cette familiarité influence évidemment ma manière de la percevoir dans un contexte pédagogique.
Mais malgré cet enthousiasme, je ne pense pas être naïf pour autant. Je suis conscient des limites et des risques que pose l’intégration massive de l’IA dans l’enseignement. Il y a d’abord les questions environnementales, qu’on ne peut plus ignorer. Les outils d’IA demandent une énorme puissance de calcul, des serveurs énergivores, et une empreinte écologique bien réelle. Il y a aussi le risque de perte/diminution de compétences : si l’IA rédige à notre place, pense à notre place, propose sans qu’on ait à chercher, comment l'encadrer dans l'enseignement supérieur ? Et puis il y a cette culture du recours immédiat, cette tentation d’obtenir une réponse directe, rapide, sans passer par la réflexion. Cela peut encourager une forme de paresse intellectuelle, une superficialité dans le rapport au savoir (Elhaidaoui et Lahlou, 2024).
C’est justement parce que je suis conscient de ces risques que j’ai envie d’intégrer l’IA de manière raisonnée dans le cours d’initiation à la recherche que je présente dans ce portfolio. Je suis convaincu qu’il vaut mieux accompagner les étudiants dans l’apprentissage de ces outils, plutôt que de les laisser les découvrir seuls, avec tous les biais, les mauvais usages, voire les dérives que cela peut entraîner. Apprendre à utiliser l’IA intelligemment, avec esprit critique, dans une logique de sobriété numérique, me semble essentiel. Il ne s’agit pas de remplacer l’effort de recherche ou d’analyse, mais d’utiliser ces outils comme des leviers pour approfondir une réflexion, structurer un projet, ou gérer efficacement certaines tâches techniques (Ferreboeuf, 2022).
Cela soulève une question centrale : quelle place veut-on donner à l’intelligence artificielle dans la formation intellectuelle des futurs professionnels, notamment en contexte éducatif ? Doit-on la voir comme un simple outil, comme un partenaire, ou comme une menace ? Comment former des étudiants capables de s’en servir sans s’y soumettre ? Comment éviter qu’ils n’en deviennent dépendants, tout en leur donnant les clés pour en tirer le meilleur ? Ce sont des interrogations complexes, et je n’ai pas toutes les réponses. Mais je suis convaincu que faire comme si l’IA n’existait pas, ou l’interdire par principe, serait une erreur. L’enjeu, c’est de former des utilisateurs éclairés, capables de garder leur autonomie intellectuelle tout en exploitant les potentialités de ces technologies. Et cela, à mes yeux, fait désormais partie intégrante de notre mission éducative.
La question de l’identité d’une Haute-Ecole est étroitement liée à la manière dont on y enseigne. En tant qu’enseignant, on ne transmet pas uniquement des savoirs ou des compétences, on incarne aussi, souvent sans s’en rendre compte, les valeurs, les codes et la culture de l’institution dans laquelle on travaille. Une Haute-Ecole a généralement une approche professionnalisante, centrée sur la pratique, les liens avec le terrain, l’accompagnement des étudiants dans des projets pratiques. Cela influence naturellement la posture de l’enseignant, qui se veut souvent plus proche, plus accessible, plus dans l’échange que dans une simple transmission descendante.
Mais cette identité n’est pas figée. Elle peut varier selon les filières, les équipes pédagogiques, ou même l’évolution des politiques institutionnelles. Certains pourraient dire qu’une Haute-Ecole, c’est avant tout un lieu d’apprentissage pragmatique, ancré dans le réel, là où d’autres y voient aussi un espace de réflexion critique, qui doit pousser les futurs professionnels à prendre du recul sur leur pratique. En tant qu’enseignant, on navigue entre ces deux dimensions. Former des personnes compétentes sur le terrain, tout en gardant une exigence intellectuelle et éthique. Par exemple, ) la HEFF, Haute-Ecole où j'ai effectué mon stage, j'ai ressenti une ouverture d'esprit assez forte. A l'ULB, lors de mon master en sciences de l'éducation, j'ai ressenti une certaine vigilance et une vision un peu négative de l'enseignement explicite. Or, à l'université de Louvain-la-Neuve par exemple, il insiste davantage sur les aspects positifs de cette pédagogie. Donc, les choix d'institution conditionne les étudiants en fait. Je ne m'en rendais pas spécialement compte avant cette année.
Cette réflexion me pousse à me demander quel rôle je veux jouer dans cette identité institutionnelle. Est-ce que je vais réussir à garder ma ligne conductrice d'ouverture d'esprit ? Est-ce que je me conditionnerai sans m'en rendre compte à mon institution ? Par exemple, là où je travaille en tant que professeur de mathématiques, c'est une école assez élitiste. Je ressens que je vais à l'encontre de certaines croyances dans cet établissement, mais que je me suis conditionné à d'autres.
Ce master de spécialisation, les stages que j’ai effectués et la rédaction de ce portfolio ont été une source de remise en question, bien plus enrichissante que je ne l'avais imaginé au départ. Ils m'ont offert l'opportunité de prendre du recul sur ma pratique, de mieux cerner qui je suis en tant qu’enseignant, ce que j’ai envie de transmettre, et surtout, pourquoi je le fais. J'ai pu mettre des mots sur mes valeurs, mes choix, et même mes doutes, tout en les confrontant à d'autres perspectives, à des lectures, à des situations concrètes et surtout à d'autres personnes. Ce travail m'a encouragé à réfléchir en profondeur, à établir des liens entre mes expériences passées et mes projets d'avenir. En résumé, ce parcours m’a aidé à me sentir plus sûr de ma posture professionnelle, je sais ce que j'aime et je me connais mieux.
Réfléchir à la notion d’épistémologie personnelle m’a permis de mieux comprendre comment ma propre vision du savoir et de l’apprentissage influence ma posture d’enseignant. Les lectures de Therriault et Harvey (2011), Vause (2009) et Crahay et Fagnant (2007) m’ont montré que mes croyances ne sont pas neutres en fait : elles guident mes choix pédagogiques, ma manière d’interagir avec les étudiants et la place que je laisse au doute, à l’erreur ou à la co-construction du savoir. En prenant conscience de cela, j’ai commencé à faire évoluer ma posture, à adopter une approche plus ouverte, plus réflexive (ce qui va dans le sens du décret), où je ne cherche davantage à accompagner la construction du sens. Cette prise de recul est devenue un élément clé de mon identité professionnelle et me pousse à penser l’enseignement comme un espace de dialogue.
Je veux dépasser l'enseignant que je pensais vouloir être à la sortie de mon bachelier : très centré sur ma matière. Je me rends compte que l'aspect humain doit prendre la plus grande des places dans mon identité enseignante, c'est d'ailleurs déjà ce qui arrive depuis quelques mois...
Récemment, en écoutant un podcast sur Paul Watson, j’ai découvert une notion qui m’a vraiment interpellé : la non-violence agressive. Pour remettre un peu de contexte, Paul Watson est un militant écologiste radical, fondateur de Sea Shepherd, une organisation connue pour ses actions spectaculaires contre la pêche illégale et la chasse aux baleines. Il est souvent qualifié de "pirate des mers", car il n’hésite pas à entrer en confrontation directe avec les navires qu’il juge hors-la-loi, tout en affirmant qu’il agit sans violence envers les personnes. C’est justement là que réside sa philosophie : il défend l’idée d’une non-violence agressive, c’est-à-dire une action frontale, déterminée, parfois spectaculaire, mais sans porter atteinte physiquement à autrui. C’est une forme d’intervention qui dérange, qui bouscule, mais qui ne détruit pas.
Cette idée m’a fait immédiatement penser à l’éducation. Dans nos classes, dans nos institutions, on est souvent confronté à des situations problématiques, à des injustices, à des blocages. Et parfois, par souci de ne pas brusquer, on choisit de ne pas agir ou d’agir trop timidement. Or, cette posture de "non-violence agressive" me semble transposable : on peut agir avec force, conviction, détermination, tout en restant respectueux des personnes. Face à une règle injuste, une organisation dysfonctionnelle ou une situation d’exclusion, on peut refuser de rester passif, sans pour autant tomber dans la violence ou l’agressivité. C’est un équilibre délicat, mais puissant. J'y ai pensé, car je me suis rendu que dans le monde professionnel, on prend trop souvent la peine de prendre des pincettes pour parler aux gens. Or, je trouve que l'on peut totalement discuter avec des gens et leur donner une autre vision des choses si un problème se présente.
Ce genre de découverte me rappelle aussi l’importance de s’intéresser à tout un tas de choses en dehors du cadre purement scolaire ou académique. C’est en écoutant ce podcast, sans lien direct avec l’éducation, que j’ai trouvé une idée transposable à mon métier. Et c’est ça, pour moi, la richesse d’une posture réflexive. Plus on nourrit sa curiosité, plus on est capable de faire des liens entre des mondes, à première vue, éloignés, comme ici entre un militant écologiste radical et la gestion de conflits ou de tensions dans le milieu scolaire.
Lien d'une vidéo explicative sur ce sujet : https://www.youtube.com/watch?v=ZJF03x0nsY8
Quand j’ai déposé mon portfolio à mi-parcours, j’ai reçu un commentaire qui m’a fait pas mal réfléchir. On m’a dit que mon cours d’initiation à la recherche était peut-être trop complet. Sur le moment, j’ai été un peu surpris. Trop complet, est-ce vraiment un problème ? Est-ce que je donne trop de contenu ? Est-ce que je risque de noyer les étudiants dans trop de notions différentes ? Est-ce que je surcharge au lieu de guider ? Ces questions m’ont beaucoup trotté dans la tête, parce qu’évidemment, mon intention n’a jamais été de rendre le cours lourd ou indigeste, mais bien d’ouvrir des portes, de susciter la curiosité, de donner des clés et d'aider les étudiants du mieux que je peux.
Alors j’ai essayé de voir si je pouvais réduire un peu le nombre de notions, alléger certaines parties. Mais très vite, je me suis heurté à une difficulté : une fois que tout s’imbrique dans une ligne directrice cohérente, ce n’est pas si simple d’enlever un élément sans fragiliser l’équilibre du tout. Chaque notion appelait une autre, chaque concept s’inscrivait dans un fil rouge que j’avais construit avec attention. C’est là que j’ai compris que le problème ne venait peut-être pas du "trop", mais plutôt de la façon d’aborder ce "trop". Cette réflexion m’a amené à envisager une autre piste : travailler davantage sur l’interdisciplinarité, imaginer des contenus transversaux qui permettent aux étudiants de mobiliser plusieurs savoirs dans un même espace, plutôt que de les empiler les uns après les autres. Ce ne serait plus un cours "dense", mais un cours ouvert, où les notions se croisent, se répondent, prennent du sens à travers des projets ou des démarches partagées avec d’autres cours. Par exemple, les outils d'IA proposés peuvent être abordés dans le cours qui traite du numérique. Cette approche me semble plus durable, plus motivante pour les étudiants, et plus fidèle aussi à la réalité du terrain. C’est une piste que je garde pour la suite… et qui montre encore une fois à quel point les retours, même déstabilisants, peuvent être moteurs de réflexion.
Dans le cadre de mon cours d’initiation à la recherche, j’aborde l’usage de l’IA, et je le fais avec une posture personnelle assez assumée : je suis plutôt favorable à son usage, car je m’y suis formé, je l’utilise quotidiennement, et j’en perçois les apports réels en termes de gain de temps, d’aide à la structuration des idées, de créativité... Cependant, en tant que futur enseignant dans une institution d’enseignement supérieur, je suis également tenu de respecter le principe de neutralité tel que défini par le décret de 2003.
Ce principe de neutralité a été défini de plusieurs manière au fil du temps, en évoluant vers le concept qui apparait dans le décret. La définition que je retiens ici est donc que la neutralité ne signifie pas l’absence totale d’opinion, mais l’obligation de présenter les faits et les idées de manière objective, pluraliste, et avec une ouverture à la diversité des points de vue (Wolfs, 2013). Dans ce cadre, il est essentiel que, même si je me considère comme pro-IA, car je suis formé à l'utiliser, je ne me limite pas à en faire une promotion unilatérale. Cela implique de mettre aussi en lumière les limites, les dérives potentielles, les débats éthiques, les impacts environnementaux ou encore les risques de perte de compétences. Je dois également intégrer des perspectives divergentes, qu’elles soient technosceptiques, pédagogiques ou sociétales, afin d’outiller les étudiants à se faire leur propre opinion raisonnée.
Dans l’esprit du décret, il s’agit d’amener les étudiants à développer leur esprit critique, à analyser les enjeux de manière rigoureuse, et à distinguer les faits des jugements de valeur. L’IA, en tant que question socialement vive, nécessite ce type de traitement nuancé je pense. Elle traverse la société, interroge les rapports au savoir, à l’éthique, au travail, et à l’éducation. C’est pourquoi, au sein du cours, je devrai prévoir des temps de débat, des lectures contradictoires, et une mise à distance réflexive des outils que je propose. Cette posture rejoint ce que certains auteurs désignent comme une neutralité active (que je peux considérer comme positive) (Wolfs, Tisseyre, D’Hondt, Guillaume, 2020) : je n’impose pas une vérité, mais je construis un espace où les opinions peuvent se rencontrer, se confronter et se transformer. Ce n’est donc pas en masquant mon intérêt pour l’IA que je respecte la neutralité, mais bien en explicitant ma position tout en garantissant la place des autres voix, dans un esprit de pluralisme, de rigueur et de respect du rôle formateur de l’enseignement.
Bibliographie
Crahay, M. & Fagnant, A. (2007). A propos de l’épistémologie personnelle: un état des recherches anglo-saxonnes. Revue française de pédagogie, 161, 79-117.
Décret modifiant le décret du 21 janvier 2004 organisant la neutralité inhérente à l'enseignement officiel subventionné et portant diverses mesures en matière d'enseignement. Décret de la communauté française du 2 juin 2006. Moniteur belge, 4 septembre 2006.
Décret modifiant le décret du 7 févier 2019 définissant la formation initiale des enseignants. Décret de la Communauté française du 2 décembre 2021. Moniteur belge, 2 février 2022.
Draelants, H., Dupriez, V. & Maroy, C. (2011). Le système scolaire. Dossiers du CRISP, 76 (1), 9-126. https://doi.org/10.3917/dscrisp.076.0009.
Elhaidaoui, S. & Lahlou, M. (2024). L’impact de l’IA sur le développement de la compétence scripturale chez les étudiants : atout ou menace pour l’apprentissage ?. L’IMPACT, 4, 25–36.
Ferreboeuf, H. (2022). Déployer la sobriété dans le numérique. Revue internationale et stratégique, 128 (4), 127-133. https://doi.org/10.3917/ris.128.0127.
Therriault, G. & Harvey, L. (2011). Postures épistémologiques que développent de futurs enseignants de sciences et de sciences humaines lors des cours de formation disciplinaire et pratique : l'apport d'une recherche mixte. Recherches qualitatives, 30 (2), 71-95.
Vause, A. (2009). Les croyances et connaissances des enseignants à propos de l’acte d’enseigner. Vers un cadre d’analyse». Les Cahiers de Recherche en Education et Formation, 66,1-33.
Wolfs, J.-L. (2013). Sciences, religions et identités culturelles : Quels enjeux pour l'éducation. De Boeck Supérieur. https://doi.org/10.3917/dbu.wolfs.2013.01.
Wolfs, J. L., Tisseyre, L., D’Hondt, D. & Guillaume, J. (2020). La formation des enseignants à la «neutralité» en Belgique francophone: les formateurs et formatrices partagent-ils une vision commune du «vivre-ensemble» et de la «neutralité»? Enquête exploratoire. Éthique en éducation et en formation, 8, 59-78.