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Pédagogie émancipatrice

La pédagogie critique, inspirée par les luttes sociales telles que le féminisme, la lutte contre le sexisme et la domination raciale, s’est développée grâce à des penseurs comme Paulo Freire. Elle ne se limite plus uniquement à l’éducation des enfants, mais s’adresse plus largement à toutes les personnes opprimées, soumises à une forme de domination (Freire, 1974 ; 1996). Historiquement, cela concernait des populations telles que les paysans pauvres, les travailleurs dans les mines ou encore les populations indigènes. Cependant, les opprimés peuvent appartenir à des catégories diverses, et les enfants eux-mêmes, souvent soumis à une forme de domination institutionnelle à travers l’école, en font partie.

La pédagogie critique cherche à comprendre comment amener les opprimés à prendre conscience de leur condition et à s’engager dans des luttes pour revendiquer leurs droits. Dans ce contexte, le mot "pédagogie" prend une signification particulière : il s'agit d'un outil pour sortir de la domination et apprendre à s’émanciper. Freire identifie trois étapes majeures dans ce processus, qui mènent à la conscientisation et à l’action (Freire, 1974 ; 1996).

  1. La conscience primaire : C’est la première étape où les opprimés prennent conscience de leur position de dominés. Ils ressentent un mal-être lié à des expériences désagréables ou injustes, mais ils perçoivent souvent cette condition comme une fatalité ou une réalité naturelle. Par exemple, les femmes, en raison de leur rôle historique dans les sociétés patriarcales, ont souvent été perçues comme naturellement responsables des tâches domestiques et de l’éducation des enfants. De même, les peuples colonisés ont longtemps été méprisés sous prétexte qu’ils étaient "ignorants", alors que la véritable motivation des colonisateurs était économique. À ce stade, les opprimés peuvent aussi intérioriser leur oppression et penser qu’elle est de leur propre faute. Ils en viennent parfois à considérer que les pratiques ou modes de vie des dominants sont supérieurs, et dans certains cas, lorsqu’un opprimé acquiert du pouvoir, il peut lui-même reproduire les schémas de domination. La lutte contre cette oppression n’est donc pas encore envisagée.
  2. La conscience critique : Cette étape marque un progrès dans la réflexion. Les opprimés éliminent les fausses causes de leur domination et comprennent que celle-ci n’est pas une réalité naturelle, mais un phénomène historico-social. Ils cherchent à identifier les origines réelles de leur oppression et entament un dialogue avec des personnes ayant des savoirs ou une expérience qui les éclairent. Cette étape est fondamentale pour développer une pédagogie qui aide les opprimés à comprendre leur condition.
  3. La praxis : Empruntée au marxisme, la praxis désigne une pratique éclairée par la connaissance. À ce stade ultime, les opprimés disposent de suffisamment de savoirs pour agir concrètement. Ils s’engagent dans des luttes en utilisant les connaissances acquises, dans un va-et-vient constant entre la théorie et la pratique. Ce dialogue entre réflexion et action leur permet de juger de ce qu’il convient de faire pour transformer leur situation.

Cependant, Freire met en garde contre un risque majeur : que les opprimés, en luttant, aspirent à devenir à leur tour des oppresseurs (Freire, 1974 ; 1996). Ce comportement, s’il se produit, ne conduit pas à une société plus juste, mais à une reproduction des systèmes de domination.

La pédagogie critique, telle que définie notamment par Paulo Freire, est souvent considérée comme une pédagogie émancipatrice. Les deux partagent des objectifs communs : permettre aux individus de prendre conscience des mécanismes d'oppression qui les affectent et leur donner les moyens de s'en libérer (Broussal, 2019 ; Caron, 2022).

  1. Conscientisation : Les deux pédagogies visent à développer une compréhension critique du monde. Pour Freire, cela passe par la "conscientisation", c’est-à-dire la capacité à reconnaître les structures sociales, politiques et économiques à l'origine de l'oppression.
  2. Transformation sociale : Ces approches ne se limitent pas à un apprentissage passif. Elles encouragent les individus à agir pour transformer leur réalité, ce qui est une caractéristique clé de l'émancipation.
  3. Dialogue : Le dialogue est central dans les deux pédagogies. Freire insiste sur l'importance d'une relation éducative égalitaire entre enseignant et apprenant, où chacun contribue au processus d’apprentissage et de réflexion.
  4. Autonomie : L'objectif ultime est de permettre aux apprenants de devenir autonomes, capables de penser et d’agir par eux-mêmes, plutôt que de dépendre de figures d'autorité ou des structures dominantes.

Cependant, il existe une nuance : toutes les pédagogies émancipatrices ne sont pas nécessairement critiques au sens freirien. Une pédagogie peut viser l'émancipation sans aborder explicitement les systèmes d'oppression socio-politiques (par exemple, en mettant l'accent sur l'autonomie individuelle ou le développement personnel sans dimension collective). En revanche, la pédagogie critique s'inscrit dans une perspective politique et sociale explicite, cherchant à transformer les structures oppressives (Freire, 1974 ; 1996 ; Broussal, 2019 ; Caron, 2022).

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Bibliographie

Broussal, D. (2019). Émancipation et formation : une alliance en question. Savoirs, 51 (3),13-58.

Caron, G. (2022). L’émancipation comme finalité pédagogique en contexte scolaire. Penser l’éducation, 50, 9-34.

Freire, P. (1974). Pédagogies des opprimés. Maspero.

Freire, P. (1996,).Pédagogie de l’autonomie. Érès.